L’atelier s’est quelque peu enflammé ces derniers jours au
sujet de l’activité de « restauration ». La question est posée :
fait-on de la « restauration de livres » aux Lieurs ?
On ne sera pas étonné de ma réponse ; oui, car sans
rougir, j’ai créé un blog personnel sur le sujet, fièrement intitulé
« restauration-livres… D’aucuns me répondent que non ! nous ferions au mieux
de la « réparation de livres ». Réparation, dites-vous ? quel
vilain mot ; rouleau de scotch ? papier adhésif ? bouts de
ficelle ? … Pour le coup, on voudrait nous enterrer qu’on ne ferait pas
mieux.
Soyons raisonnable ; le terme
« restauration » est un terme de la langue française. Il n’a pas
d’autre sens que celui du dictionnaire, et à ma connaissance, aucune loi n’en a
réservé l’exclusivité à quiconque. Mon voisin tapissier restaure des fauteuils
(il l’affiche dans sa vitrine), mon ébéniste m’a restauré une armoire, mais
aucun d’eux ne sort de l’Ecole Boulle. Puis il y a des restaurateurs de
pendules, de jouets, de poupées, etc…
Alors serait-ce une prétention que d’afficher une activité « restauration de livres » ? Non ! nous n’oublions pas que nous sommes des amateurs. Oui ! nous faisons de la restauration « amateur », comme nous faisons de la reliure « amateur », et comme nous ferions de l’ébénisterie « amateur » dans un club dédié à cette activité. C’est tout. Il n’y a pas de quoi fouetter un chat !
Nous avons à l’atelier une enseignante dont la compétence
dans le domaine de la restauration du livre est avérée. Elle m’a mis le pied à
l’étrier, comme à d’autres, pour cette activité. Elle connaît parfaitement les normes de la restauration institutionnelle, et nous informe chaque fois que nous les oublions. Cela voudrait-il dire que nous
ne l’avons pas écoutée ? La plupart du temps, je crois appliquer les
gestes de base qui m’ont été enseignés : couture, remontage sur toile de
renfort (il s’agit presque toujours de couvertures percaline), fendage des
plats si nécessaire, etc… cela avec mes erreurs, mes maladresses, mes échecs,
certainement, comme tout le monde ; je suis un apprenti. Mais devrai-je porter une casquette pour
prétendre pratiquer la restauration … amateur, bien sûr !
Je vais faire amende honorable. On pourra en juger dans mon
blog ; sur la base de cet enseignement, j’avoue prendre quelque liberté.
Je voudrais m’en expliquer.
Un restaurateur est toujours, par nature,
« conservateur-restaurateur ». Par définition, les deux termes sont
intimement liés ; restaurer, c’est retrouver l’état initial », c’est
donc conserver, et pour conserver, il faut reconstruire, donc restaurer. La
nuance est dans la priorité de ces termes. Les milieux institutionnels de
la restauration (bibliothèques, musées…) sont par nature avant tout
« conservateurs ». A juste titre, les règles y sont draconiennes.
Cela, je le comprends parfaitement, et je partage totalement cette déontologie.
Qui se donnerait le droit de trafiquer, si peut que ce soit, un ouvrage issu
de la bibliothèque de François 1er.
Dans ce cas, l’intervention se résumera, à juste titre, à restituer la
cohérence de l’ouvrage : couture, comblages sans fantaisies…Tout cela est
parfaitement normal et parfaitement respectable.
Notre problème à nous, amateurs, n’est pas vraiment le même.
Le « Robinson Crusoë» Editions Hachette 1930, trouvé dans le grenier de ma
grand-mère, n’a rien à voir avec le livre de chevet de François 1er. Il n’a aucune valeur patrimoniale. Parce que
j’aime son caractère un peu désuet, je vais tâcher de le conserver au mieux,
dans son état. Et si je peux, je m’en tiendrai là, comme je l’ai dit plus haut.
Mais il est vrai que souvent, je suis tenté d’aller plus loin, parce que je
veux aussi un ouvrage complet (je comble les manques par des photocopies,
quelle horreur !), parce que je veux
un ouvrage propre, agréable à lire (j’essaie de traiter les tâches.. en
les ponçant ; vous vous rendez compte !). Donc en général, je vais
plus loin que le spécialiste, car en vérité, je suis plus
« restaurateur » que « conservateur ».
La vérité est que, institutionnels et amateurs, nous
travaillons sur des produits différents (XVIIIème ou avant pour les premiers-travail sur cuir-,
fin XIXème ou XXème pour les seconds-travail sur percaline ou papier), avec des objectifs différents
("conservation" d’abord pour les premiers, "esthétique" d’abord pour les seconds).
Le terme de « restauration » reste assez général pour nous regrouper,
terme que l’on a tout loisir de préciser : « institutionnel »,
« amateur ». Au delà de remarques un peu niaises («Voyons, on ne
prétend pas faire de la restauration quand on efface les tâches au papier
de verre ! quand , quand, quand…») l’appellation
« restauration » ne saurait être accaparée par personne sauf par
réflexes purement corporatistes. Ne suivons pas ceux là sur ce chemin.
Et en restant conscients de nos faiblesses, ayons au moins la fierté
de notre travail !